Charlotte Perriand, un modèle pour toute une génération de créateurs

Libre, engagée, visionnaire, moderne, culte, avant-gardiste. La simple évocation de son nom suffit à déclencher une liste (non exhaustive) d’adjectifs flatteurs. Retour sur une vie sans compromis de celle qui restera l’une des plus grandes figures du design du XXème siècle : Charlotte Perriand.

 

Texte : Chris Mick


Fuir les conventions

Fille unique, elle grandit avec des parents artisans qui l’aiment. Le goût de la liberté lui est soufflé par sa mère dès son plus jeune âge. Un fait rare dans les années 20 et sans doute un élément déterminant pour la petite fille à une époque où la cuisine et les enfants constituaient le seul avenir envisageable pour une femme ! Son éducation se veut libre et ouverte, ses parents prônent l’audace, la découverte et l’assurance. Si le contexte familial a forcément influé le parcours exceptionnel de Charlotte Perriand, ses rencontres décisives et ses voyages inspirants ont leur importance. Elle étudie à l’Union Centrale des Arts décoratifs de Paris entre 1920 et 1925 avant d’ouvrir sa propre société. Fascinée par le mobilier d’intérieur et obsédée par la fonctionnalité, son audace et sa curiosité l’amèneront à devenir l’associée de Le Corbusier et Jeanneret durant 10 ans. Cette expérience fondatrice renforcera sa technicité et ouvrira son esprit à de nombreuses références. Ensemble, ils dessinent des pièces emblématiques en inventant un nouveau langage qui marquera l’histoire du design.

 

Indépendante et révolutionnaire

Elle fréquente les milieux intellectuels de gauche et s’engage aux côtés du prolétariat. Son implication sociale prend tout son sens lorsqu’elle dénonce dans un photomontage les conditions de vie et d’hygiène d’une frange de la population parisienne au Salon des Arts ménagers en 1936 au travers d’une fresque de 16 mètres. Elle contribue également à définir une nouvelle féminité dans une société gouvernée par les hommes. Les remarques misogynes sont légion dans sa profession ! Le Corbusier lui aurait sympathiquement annoncé lors de son arrivée dans l’agence « qu’ici, on ne brodait pas les coussins ». Sa vision de la société et de l’habitat favorisera l'invention du concept de cuisine ouverte, une révolution pour la maitresse de maison qui pourra désormais participer aux conversations ! Elle redonne une place à la femme dans la vie sociale. Ajoutons que pour elle, la notion de genre n’existait pas, elle ne devait pas poser question. Rappelons que nous sommes dans les années 30 !   


 Ses citations favorites : « Vivre son siècle et anticiper » ; « L’art est dans tout, l’art est dans la vie et s’exprime en toute occasion et en tout pays »  ; « Pour moi, le sujet c'est l'homme, ce n'est pas l'objet »


 

 

Ses sources d’inspiration

Elle observe la nature et la photographie. Source d’inspiration inépuisable, elle intègre aussi le corps dans toutes ses réalisations. Elle étudie la longueur des mains, des bras, envisage la taille ou la hauteur du regard quand on est assis pour concevoir des objets fonctionnels, mais poétiques. L’humain est au centre de l’espace dans son travail pour une seule raison : créer du lien social et favoriser le confort. Fascinée par le monde industriel, elle se démarque par le choix des matières et la simplicité des lignes. Vous connaissez sûrement la mythique chaise basculante LC4 « Le Corbusier » ? Mais vous ne savez peut-être pas que le nom de Charlotte Perriand figure aussi sur le brevet d’invention. Pour elle, le meuble est pensé en fonction de l’espace et l’objet est au service du sujet. En témoigne sa bibliothèque Nuage/Tunisie lors de son travail sur l’équipement de 40 chambres d’étudiants à Paris (1952). Directement inspiré de son séjour au Japon, ce meuble se veut modulable, mobile et totalement adapté à la vie d’étudiant. Il lui aura aussi soufflé l’intégration des portes coulissantes dans le projet d’unités d’habitation à Marseille. Même si elle ne dispose pas du titre d’architecte, elle émettra la volonté d’être associée à des programmes de reconstruction de bâtiments à son retour du Japon, car, pour elle le mobilier ne peut être éloigné de l’immobilier. Elle disparaitra en 1999 en laissant à jamais derrière elle sa vision de l’aménagement intérieur et du design. Elle reste un modèle pour toute une génération de créateurs.

Pour aller plus loin :

CHARLOTTE PERRIAND /Laure Adler / Gallimard Livres D'art (2019)
Et devant moi la liberté, journal imaginaire de Charlotte Perriand, de Virginie Mouzat, Flammarion.
BARSAC Jacques, Charlotte Perriand : L’œuvre complète (4 volumes) Norma