L'état des lieux - dans les règles de l'art

Constater pour mieux se protéger

L'état dans lequel se trouve le bien loué lors de sa restitution par le locataire au bailleur fait l'objet de nombreux litiges. Comment s’en prémunir ? Le point avec Maître Claudia THIRION, Avocate à la Cour.

Maître THIRION, pourquoi faut-il réaliser un état des lieux d'entrée, c’est-à- dire avant l’emménagement du locataire ?

Le preneur et le bailleur n'établissent pas systématiquement un état des lieux du bien loué à l'entrée du locataire. Pourtant l'établissement d'un tel état des lieux d'entrée aussi détaillé que possible est dans le plus grand intérêt du locataire car il permet de déterminer à la fin du bail les réparations qui sont ou non à sa charge.
En effet, si aucun état des lieux n'a été rédigé à l'entrée dans les lieux du locataire, l'article 1731 du Code civil fait présumer que le locataire a reçu les lieux en bon état de réparations locatives et il doit dès lors le restituer en bon état. Il s'agit d'une présomption simple dont la preuve contraire pourrait être rapportée par le locataire.

Au niveau de la forme, comment se présente-t- il ?

Au niveau de la forme de l'état des lieux, il a été décidé que celui-ci n'a pas à revêtir une forme particulière. Il n'a pas besoin d'être descriptif et peut par exemple être constitué d'une clause du contrat de bail lui-même prévoyant par exemple que le locataire prend possession d'un immeuble loué en parfait état. De telles clauses sont considérées par la jurisprudence comme étant valables, mais doivent être interprétées de manière restrictive. Dans cette hypothèse le locataire n’est pas autorisé à prouver que malgré cette clause du contrat, l'immeuble loué l'aurait été dans un moins bon état.

Pour avoir valeur probante, l’état des lieux doit en principe être contradictoire, c’est-à- dire établi par les deux parties, daté et signé par elles deux (ou par leur représentant). Les états des lieux établis par le biais d’un rapport rédigé par un expert ou un agent immobilier ont une valeur probatoire moindre car le professionnel aura en principe été chargé unilatéralement et l’état des lieux ne sera pas signé par les deux parties.

Que se passe-t- il si le locataire constate un dégât juste après son emménagement, et donc après avoir signé l’état des lieux d’entrée ?

Si un état des lieux d'entrée du locataire a été établi par les parties et que le locataire constate juste après son emménagement dans les lieux qu'un élément n'est pas mentionné dans celui-ci, il serait bien conseillé d'adresser au bailleur un courrier en recommandé afin de compléter immédiatement l'état des lieux et invitant au besoin le bailleur à venir constater l’existence du dégât.

Faut-il réaliser un inventaire en cas de location meublée ?

L’état des lieux peut être complété par un inventaire des objets mobiliers laissés à disposition du locataire. L’établissement d’un tel document est préconisé si le logement loué est meublé car dans ce cas, le locataire a tout intérêt à faire mentionner dans l’état des lieux, l’état dans lequel se trouvent les meubles loués. Il est également important de mentionner dans l’état des lieux le nombre de clés et de télécommandes remises au locataire au moment de l’entrée dans les lieux.

Qu’en est-il de l’état des lieux de sortie ?

L’établissement d’un état de lieux de sortie du locataire (lorsqu’il quitte les lieux) est tout aussi essentiel que celui d’entrée, et ce même si aucun état des lieux d’entrée n’a été établi.
Le locataire a tout intérêt à prouver l’état d’entretien et de propreté des lieux au jour de son départ. Sinon il pourrait se voir réclamer a posteriori des frais de nettoyage ou de réparation, sans être en mesure de prouver l’état dans lequel les lieux se trouvaient au moment de son départ. En général, pour avoir valeur probante l’état des lieux de sortie est également établi contradictoirement, daté et signé par les deux parties.

Le propriétaire a donc intérêt à vérifier précisément dans quel état se trouvent les lieux et les équipements et à le noter dans l’état des lieux car s’il s’aperçoit postérieurement d’un dégât, il lui sera pratiquement impossible de rechercher la responsabilité du locataire si le dégât n’est pas mentionné dans le document contradictoire d’état des lieux. La même remarque que pour l’état des lieux d’entrée est valable pour l’état des lieux de sortie rédigé par un expert unilatéral. Le locataire qui souhaite faire dresser un constat unilatéral (par exemple si le bailleur refuse d’établir un état des lieux contradictoire) a intérêt de s’adresser à ces fins à un huissier de justice.

S’il n’y a pas d’écrit constatant l’état des lieux au moment du départ du locataire, celui-ci pourra être prouvé par tout moyen de preuve légalement admissible (le plus souvent, la preuve est alors le résultat de la production de photos ou d’enregistrements vidéo ou encore de l’audition de témoins).

Quelles sont les obligations du locataire au moment de quitter les lieux ?

L'obligation du locataire de restituer le bien loué en fin de bail est une obligation de résultat.
Cela veut dire que le bailleur n'a qu'à prouver le fait matériel de la dégradation ou de la perte du bien loué dépassant l'usure normale, pendant la jouissance des lieux et qui n'existait pas lors de la conclusion du contrat de bail. Dans ce cas, le locataire est automatiquement responsable de cette dégradation ou de cette perte.
Le locataire ne pourrait se départir de cette présomption de responsabilité qu'en rapportant la preuve que cette dégradation est due à la vétusté, à la force majeure ou à l'usure normale.

À noter que suivant l'article 1735 du Code civil, le preneur est tenu des dégradations et des pertes qui arrivent par le fait des personnes de sa maison et de ses sous-locataires.

Quelle est la définition de l’ « usure normale » ?

L’usure normale d'une chose est l'usure qui survient même si le locataire utilise la chose de manière soigneuse et consciencieuse. Tant que la chose est utilisée conformément à sa destination et que l'usure n'est pas due à un manque d'entretien ni à un dégât causé à cette chose, il s'agit d'usure normale.

Dans un jugement du tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 27 mars 2012, les juges rappellent qu'en ce qui concerne les travaux de peinture, l'usure, le caractère défraîchi ou l'altération d'une peinture, pour autant qu'ils soient normaux, ne sont pas à charge du locataire, y compris les « contours visibles de tableaux et de meubles ».

Une remise des clés sans réserve signifie-t- elle que le bailleur ne peut plus se retourner contre le locataire ?

Il est fréquent que le locataire soutienne que le bailleur, en acceptant la restitution des clés sans réserve ou en n’agissant pas en justice dans un certain délai, a renoncé à réclamer des dommages et intérêts au locataire pour les dégâts locatifs relevés.

Or une réception des clés sans formulation de réserve, une réclamation tardive du bailleur, voire même une relocation ultérieure à un nouveau locataire ne sont en principe pas considérés comme valant renonciation tacite du bailleur à être indemnisé pour les dégâts locatifs, contrairement à une reprise de possession effective de l'objet loué par le bailleur.

En effet, on ne peut pas retenir l'existence d'une renonciation sans une manifestation de volonté claire (implicite ou explicite). Il appartiendra au tribunal d'apprécier quelle a été l'intention du bailleur.

En cas d’indemnisation du bailleur, est-ce que seuls les travaux de remise en état sont pris en compte ?

Non, l'indemnisation accordée au bailleur pour les dégâts locatifs ne couvre pas seulement les frais de remise en état de l'immeuble, mais le cas échéant aussi la perte de jouissance pendant le temps nécessaire à la remise en état de l'immeuble loué.

Claudia THIRION
Avocat à la Cour
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