Le LISER analyse le marché du logement neuf au Luxembourg : recul des investisseurs, écart de prix avec l’ancien et enjeux pour 2030.

Le grand écart entre neuf et ancien sur le marché luxembourgeois

Depuis la mi-2024, le marché immobilier luxembourgeois connaît une reprise, mais limitée à l’ancien. Le neuf (VEFA) reste fragile, avec seulement 200 à 300 transactions par trimestre, loin des 800 d’avant-crise. Julien Licheron, économiste au LISER, analyse les dynamiques à l’œuvre et esquisse les perspectives d’un marché qui, pour l’instant, semble enlisé.

Une reprise sélective

Pour mesurer l’évolution de la demande, l’un des indicateurs les plus parlants reste le nombre de transactions. Or, si l’activité s’est redressée sur l’ancien, elle continue de stagner sur le neuf. Alors qu’un trimestre jugé normal comptabilise environ 800 ventes en VEFA, on en observe aujourd’hui à peine un tiers. Les chiffres se situent plutôt autour de deux à trois cents transactions, un niveau trois fois inférieur à la moyenne habituelle.

Julien Licheron confirme ce constat : « Sur le marché de l’ancien, nous observons une reprise tendancielle depuis la mi-2024. Mais sur le neuf, le nombre de transactions reste deux à trois fois inférieur à la normale. »

L’année 2024 a certes enregistré un léger rebond au quatrième trimestre, sous l’effet des mesures fiscales temporaires prolongées jusqu’au 30 juin 2025. Mais cet effet reste conjoncturel et ne s’inscrit pas encore dans une dynamique durable.

 

Le retrait décisif des investisseurs

Traditionnellement, deux profils dominent les ventes en VEFA : les accédants à la propriété, qui achètent pour habiter le logement, et les investisseurs. Les premiers n’ont pas disparu, même si leur présence est plus discrète. Les seconds, en revanche, se sont presque volatilisés.

« Ceux qui ont presque disparu, ce sont les investisseurs. L’une de leurs motivations principales restait la perspective de plus-value. Or, celle-ci est devenue plus incertaine avec la crise. »

Les aides fiscales, comme l’amortissement accéléré ou le crédit d’impôt, subsistent, mais elles ne suffisent pas à compenser l’incertitude sur la rentabilité future. Le rendement locatif, même légèrement amélioré, demeure insuffisant pour justifier un investissement lourd. L’absence des investisseurs, longtemps moteur essentiel du marché, accentue le blocage.

 

Un écart grandissant entre neuf et ancien

Entre mi-2022 et fin début 2024, les prix de l’ancien ont reculé de 15 à 20 %, redonnant du pouvoir d’achat aux acquéreurs. Le neuf, lui, n’a reculé que d’environ 10 %, avec de fortes disparités régionales. Dans la capitale et les quartiers les plus prisés, la correction a été minimale, car les promoteurs y avaient acheté du terrain à prix d’or et ne pouvaient se permettre de rogner davantage sur leurs marges.

Julien Licheron insiste sur cette évolution : « Les promoteurs n’ont pas pu ou n’ont pas voulu baisser les prix dans les mêmes proportions, ce qui a creusé l’écart entre le neuf et l’ancien. »

Beaucoup d’accédants se détournent donc vers des biens récents déjà construits, souvent mieux valorisés en termes énergétiques, plus abordables et disponibles immédiatement.

 

La confiance en question

Au-delà du prix, la confiance des acheteurs s’est érodée. Les faillites de promoteurs, les retards accumulés et les incertitudes sur les coûts finaux nourrissent une grande prudence. Même si les contrats actuels apportent davantage de garanties, le doute reste présent et contribue à freiner les ventes.

Pour Licheron, deux préoccupations dominent chez les acquéreurs : « La grande inquiétude aujourd’hui, c’est le niveau des prix et la capacité des promoteurs à démarrer puis à aller au bout des projets. »

 

Les atouts persistants de la VEFA

Malgré tout, le neuf conserve certains avantages. La performance énergétique constitue un critère déterminant pour les banques comme pour les acheteurs. La possibilité de personnaliser son logement reste attractive pour les accédants. Et les dispositifs fiscaux continuent d’exister, même si leur instabilité a parfois semé le trouble. Ces arguments, cependant, pèsent moins lourd face aux incertitudes sur l’évolution des prix et la rentabilité future des projets.

 

Un avenir sous tension

À moyen et long terme, les perspectives inquiètent. Un marché du neuf en panne aujourd’hui signifie des logements manquants dans deux ou trois ans, lorsque la demande repartira. Le

Luxembourg, déjà confronté à une insuffisance structurelle de construction, risque d’aggraver ce déficit si la dynamique ne se relance pas rapidement.

« Le fait que le marché de la VEFA patine aujourd’hui met en danger le long terme du Luxembourg. Les logements qui auraient dû être mis en chantier manqueront dans quelques années. »

Parallèlement, de nouveaux modes d’habitat émergent, notamment la colocation et les chambres meublées gérées par de grands opérateurs. Ce phénomène répond à la demande des travailleurs célibataires ou des étudiants, mais il ne peut constituer une solution globale à la crise du logement.

 

Perspectives à l’horizon 2030

Si l’horizon immédiat reste marqué par la prudence, les besoins de logement ne disparaîtront pas. La croissance démographique du Luxembourg, tirée par l’attractivité économique et l’arrivée continue de travailleurs étrangers, continuera de créer une demande forte. En 2030, il est probable que le profil des acquéreurs se soit encore diversifié. Les familles et jeunes ménages, toujours en quête d’un logement adapté à long terme, cohabiteront avec des publics plus mobiles privilégiant des solutions flexibles comme la colocation institutionnalisée ou les résidences meublées. Les investisseurs, aujourd’hui absents, pourraient revenir si la perspective de plus-value se réinstalle dans un contexte de pénurie accrue, mais ils interviendront sans doute avec plus de prudence, attentifs aux critères énergétiques et à la solidité des promoteurs.

Les logements neufs seront davantage contraints par la réglementation environnementale et énergétique. D’ici 2030, la quasi-totalité des projets sera alignée sur des standards très exigeants, allant au-delà du simple NZEB, et intégrant systématiquement des solutions de production d’énergie renouvelable et de gestion optimisée des ressources. La personnalisation, déjà un argument fort, devrait évoluer vers une modularité accrue, avec des logements conçus pour s’adapter aux évolutions des modes de vie et aux nouvelles structures familiales.

Reste la question centrale du foncier et des coûts de construction, qui continueront de peser lourdement sur le marché. Si aucune réforme structurelle n’intervient pour fluidifier la mise à disposition des terrains et stabiliser la chaîne de production, le risque est grand de voir perdurer un déséquilibre entre offre et demande. Ce déséquilibre, déjà visible aujourd’hui, serait alors amplifié par le temps perdu.

 

Un marché en suspens

En définitive, l’immobilier neuf au Luxembourg se trouve dans une phase de transition. L’offre existe mais ne rencontre pas sa demande, freinée par des prix jugés trop élevés et une

confiance abîmée. L’ancien reprend des couleurs, les investisseurs se tiennent à l’écart, et les promoteurs, pris dans l’étau des coûts et de la réglementation, peinent à relancer la dynamique.

Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le court terme. Le blocage du marché neuf compromet la capacité du pays à répondre aux besoins futurs, au moment même où la pression démographique et la transformation des modes de vie imposeront de nouvelles solutions. L’horizon 2030 se dessine donc comme une échéance critique, où se confronteront les nécessités de construire plus, de construire mieux, et de reconstruire la confiance.

 

Emilie DI VINCENZO